Les entreprises publiques et privées de transport doivent partager leurs données pour rendre le trafic plus fluide et moins polluant, affirme l’informaticienne Isabelle Nuage.
Le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), présenté en conseil des ministres le 26 novembre, a pour ambition d’améliorer la mobilité du quotidien pour tous les citoyens.
L’enjeu est de taille car d’un côté les territoires ruraux sont confrontés à des zones blanches en matière de transports et n’offrent que peu d’alternatives au transport individuel – c’est un des ingrédients de la colère des « gilets jaunes » –, de l’autre les villes sont confrontées à d’importants problèmes de congestion de trafic routier et de transports en commun du fait de l’augmentation de la population, engendrant une dégradation de l’environnement pour ces habitants.
En 1950, 751 millions de personnes vivaient dans les villes contre 4,2 milliards aujourd’hui, soit 55 % de la population mondiale. Selon les projections démographiques de l’ONU, ce chiffre atteindra 68 % en 2050, soit 2,5 milliards de personnes en plus dans les villes. Cet afflux massif de population dans les zones urbaines conduira inévitablement à un surplus d’usagers sur la route et dans les transports en commun.
Ce constat et ces prévisions démographiques obligent dès aujourd’hui les institutions publiques et privées à redoubler d’efforts pour proposer des services de mobilités intelligents et des solutions permettant d’améliorer la qualité de vie et de l’air, enjeux majeurs pour les villes de demain. La donnée devrait être au cœur de cette révolution, à condition qu’elle soit ouverte, partagée et bien traitée entre les acteurs publics et privés.
L’Etat espère faire émerger des initiatives et services innovants pour répondre aux besoins des usagers
Le volet innovation et données du projet de loi d’orientation sur les mobilités doit acter l’ouverture des données des transports dans un cadre clair sur tout le territoire national en 2021.
Ce cadre obligera à partager des données collectées ou produites par un service de mobilité public. En ouvrant ces données, l’Etat espère faire émerger des initiatives et services innovants pour répondre aux besoins des usagers et lancer la création de plates-formes comme celle mise à disposition, par exemple, par Ile-de-France Mobilités.
Celle-ci propose des informations (horaires, trafic, trajets, etc.) provenant des 75 entreprises œuvrant dans les transports franciliens. L’objectif est de faire basculer la France dans l’ère de la « mobilité comme un service » (en anglais « mobilty as a service », ou MAAS).
Les citoyens pourront ainsi disposer, sur leur smartphone, d’une offre multimodale, personnalisée et fluide intégrant transports en commun, VTC, covoiturage, services en libre partage, taxis, autopartage, ainsi que la marche et le vélo !
Mais cette ouverture des données des transports ne saurait se limiter au secteur public. La collaboration entre les pouvoirs publics et les acteurs privés de la mobilité est essentielle pour faire émerger ces nouveaux services et palier les manquements en matière de desserte. Elle devrait permettre à terme de proposer un billet de transport « porte à porte » permettant d’emprunter tous les modes de transport, qu’ils soient offerts par des opérateurs publics ou privés.
Le partage des données entre acteurs publics et privés est crucial pour faire émerger des services adaptés et délivrer des parcours efficients et de meilleure qualité.
Ainsi, certains opérateurs de lignes de bus de moyenne ou longue distance collaborent déjà avec un opérateur de VTC pour proposer aux usagers domiciliés loin du point de desserte d’effectuer la dernière distance en voiture, grâce au croisement des données qui permet d’acheminer des véhicules vers le lieu de desserte en fonction des besoins réels des usagers et des horaires de passage des bus.
De véritables mines d’or
Encore faudrait-il que chaque opérateur joue le jeu. Certains acteurs, qu’ils soient publics ou privés, continuent de garder jalousement leurs données en invoquant l’amélioration de leurs propres services.
Les compagnies de VTC, les applications de planification de nos déplacements ou de navigation possèdent de véritables mines d’or de données qui, si elles étaient croisées avec les données des opérateurs publics, permettraient de fluidifier les déplacements des usagers des transports en commun comme des transports individuels.
L’intelligence artificielle (IA) permet de collecter de grandes masses de données et de les analyser pour gérer d’éventuelles congestions du trafic.
Avec les données collectées par les institutions publiques et celles générées par les applications de navigation, l’IA permettrait d’adapter les feux de circulation en fonction du flux, de proposer des itinéraires alternatifs ou encore de prévenir la congestion sur certains axes.
L’analyse croisée des données disponibles peut également conseiller les usagers des transports en commun sur l’heure de départ idéale pour qu’ils puissent éviter les attentes et les lignes saturées, de la même façon que Google Maps est capable de proposer l’itinéraire le plus court pour se rendre à un commerce, les horaires d’ouverture et la fréquentation heure par heure.
Les innovations pour une meilleure mobilité paraissent donc infinies tant la matière première, la donnée, est abondante. Il faut néanmoins veiller à l’utiliser en accord avec les réglementations sur la protection des données personnelles, adopter les bonnes technologies pour en extraire de la valeur, et surtout convaincre tous les acteurs de collaborer pour innover, avec l’usager au centre de leur stratégie.
L’aboutissement serait qu’à terme l’usager puisse se déplacer sur un parcours fluide et optimisé avec un seul et même titre de transport numérisé quel que soit le moyen emprunté.
Le Monde